Interview
Féris Barkat
Co
fondateur de BANLIEUES CLIMAT
16 mai 2023
FÉRIS BARKAT - Porte-parole de l’écologie dans les quartiers populaires
À 20 ans, il est l’une des figures de proue des jeunes engagés en faveur de l’écologie. En co-fondant Banlieues Climat, il s’est fixé pour mission de sensibiliser et former les jeunes des quartiers populaires aux enjeux climatiques.
Féris Barkat est né en 2002, fils unique d’un père ouvrier algérien et d’une mère marocaine. Il grandit entre les quartiers populaires et résidentiels de Strasbourg.
Son éveil à l’écologie commence par la philosophie et se poursuit par un cours qui le marquera sur la technique et la limite du progrès. Enfin, c’est aussi une rencontre, celle de Vincent Thiebaut, attaché parlementaire qui lui parle de permafrost.
Il est admis à la London School of Economics qu’il va délaisser au profit de son engagement pour l’écologie. De retour en France, il intègre le Collège Citoyen de France où il suivra 200h de cours, accompagné par des mentors de choix et où il va aiguiser sa culture écologique.
C’est au printemps 2022 que Féris se lance en utilisant la puissance du réseau social TikTok pour faire passer ses messages et il impose rapidement son style. En moins de deux mois, plus de 40 000 personnes le suivent.
Sur les conseils de Abdelaali El Badaoui (fondateur de l’association Banlieues santé), il co-fonde alors Banlieues Climat, conscient que l’avenir des cités passe par la lutte contre le défi climatique.
Portrait d’un porte-parole de l’écologie dans les quartiers populaires.
En quoi les quartiers populaires sont-ils plus concernés et touchés par le dérèglement climatique ?
Les inégalités se traduisent sur beaucoup d’aspects. En 2003, la canicule a fait 19 000 morts, le Val de Marne et la Seine-Saint-Denis ont connu le plus de victimes parce que notamment les logements sont moins bien isolés. Quand on fait le classement des villes avec le taux de mortalité le plus élevé, c'est toujours dans les quartiers populaires que ça se passe. Et il y a d’autres inégalités comme l'alimentation ou encore la pollution de l'air. On est à 30 % d'incinérateurs supplémentaires près des quartiers et dans des villes comme Bagnolet, les habitants vivent avec un double échangeur à côté de leur logement. Et si on parle de climat, il suffit de prendre la bétonisation et les espaces verts. Il y a beaucoup d'exemples où on voit une sur vulnérabilité liée aux conséquences environnementales.
Les inégalités sont assez fortes mais on n’est pas forcément dans une perspective où l'engagement est une priorité : ils devraient ne pas s’occuper de ces questions climatiques, ce qui est à mon avis une double peine puisque on devrait totalement s'en occuper précisément parce qu'on est les plus touchés et parce que l'écologie c'est pas les ours polaires ou quelques plantes. C'est véritablement un truc très holistique qui part de la santé et qui ne finit pas vraiment, qui nous touche directement.
Quels sont les leviers prioritaires pour réduire les inégalités climatiques dans les banlieues ?
Il faut commencer par l'information. C'est pour ça que Banlieues Climat est vraiment centré sur l’information. C'est vraiment le levier qu’on a décidé de privilégier avec 9h de formation sur les questions climatiques et on travaille avec le ministère de l’enseignement actuellement pour proposer une certification pour que les formations soient diplômantes et que les jeunes puissent le valoriser sur leur CV.
Le deuxième levier serait la résilience. Quand on questionne les jeunes à la fin des formations, ce n'est pas forcément la manifestation qui les touche ni l’éco anxiété. Ce qui les touche directement c'est à la fois la formation, de pouvoir partager ce qu'ils ont découvert et la résilience en se posant des questions concrètes sur la pollution de l’air, l’alimentation, etc.
Et enfin, le troisième serait l’employabilité. Demain, la transition, l'écologie et le chantier de la transition de manière générale va être un nouvel enjeu d'inégalités. Et c'est aussi ce qui m'a motivé dans mon engagement. Ceux qui auront les compétences, les connaissances pour entreprendre dans ces questions là, pour être face à un employeur et pouvoir valoriser des compétences et des connaissances, ils auront un avantage.
Tandis que ceux qui n’ont pas eu la chance d'être sensibilisés, formés à ces questions là, ne pourront pas. Ils seront encore bloqués dans l'ancien modèle parce qu'on est encore en train de ramer pour le rattraper.
Comment montrer qu'il y a des métiers qui font sens, qui sont désirables et qui peuvent être utiles, qu'on est légitime à les prendre. C'est c'est se dire qu’il y a une porte de sortie à travers l'écologie.
Comment changer les imaginaires et adapter les récits quand on parle d’écologie aux jeunes des quartiers populaires ?
En parlant symboliquement avec les références culturelles et symboliques qui vont toucher le public concerné. C’est d’autant plus important dans les quartiers parce qu'il y a un effort mental qui est terrible.
Je ne dis pas qu'avec Banlieues climat on a la solution, on tente de proposer des pistes avec notamment le rap ou des animés japonais. Ce genre d'univers, ils ont tous des références et il contient en son sein une personnification de la nature et des choses qui permettent de dépasser parfois l'accumulation matérielle.
Mais c'est très difficile car ils ont déjà beaucoup de contraintes et moi je leur rajoute 9 contraintes, les 9 limites planétaires. Pour exprimer justement que ces contraintes sont des opportunités et que les opportunités de demain se trouvent dans ces contraintes là. Finalement c'est juste un cadre qui va nous permettre tous de vivre correctement et qui va nous permettre de véritablement mettre nos parents à l'abri.
Pour déconstruire certaines idées reçues, il est primordial de proposer un imaginaire qui prouve que tout ne se centre pas sur un individu qui est plein d'argent comme dans Naruto, dans One Piece où les personnages principaux ne sont rien sans leurs amis, qui ne cherchent pas forcément à avoir un objectif prédéfini, mais c'est le voyage tout au long qui prime et donc le trésor on s'en fout. Il y a beaucoup de choses à apporter pour se dire qu’on est dans l'obligation de changer de modèle, même si ça reste très compliqué à faire entendre. Je ne prétends jamais avoir la solution à un nouvel imaginaire pour les quartiers. La prétention du terme nouvel imaginaire serait de dire qu’on va changer les représentations mentales de manière à ce que tout soit désirable. Ma conviction personnelle, peut être que je me trompe, c'est qu'on ne peut pas changer des repères, des représentations mentales qui sont déjà un peu bousillées, j’ai pû le voir lors d’ateliers auprès de classes de CM1-CM2 avec des élèves qui passent déjà une grande partie de leur temps sur TikTok.
Et à contrario, j’ai aussi pu intervenir dans une école privée à Paris et j’étais choqué. Il n’y avait pas beaucoup d’élèves qui étaient sur les réseaux sociaux et ils avaient des connaissances sur le climat qui étaient super élevées.
Si on dépasse le cadre de la formation, ce qui reste assez efficace c’est l'art et particulièrement la musique. Il faut parvenir à ce que les artistes ou ceux qui se sentent de devenir artiste puissent véritablement intégrer dans leur art ces réalités, ces engagements, ces questions, ces remises en question, en tout cas de manière globale. il y a des phrases, des couplets qui vont pouvoir mobiliser.
Et un autre levier, c'est la formation des influenceurs. Il y a beaucoup d'associations sur le sujet. Les influenceurs se posent de plus en plus de questions comme Seb la Frite qui a fait un documentaire sur le Kirghizstan. Les choses changent, c’est une question de temps et de manière aussi.
Tu défends l’idée d’une écologie émancipatrice, de quoi s’agit-il ?
Pour quelqu'un qui est très riche, l'écologie reste un peu comme un peu liberticide, qui consiste à réduire la consommation ou à changer ses comportements. Dans les quartiers populaires, on voit quand même qu'il n'y a rien. Il n’y a pas grand chose à réduire. L'empreinte carbone est déjà assez faible.
La question est, comment vous en tant qu’individu, avec les contraintes que vous subissez et que parfois vous ne voyez pas (ex : pollution de l'air), vous pouvez vous émanciper et faire en sorte qu'il y ait moins de comorbidités ?
Pendant le covid, on a vu que le plus de comorbidité c'était dans les quartiers populaires. Donc à nouveau il y a un problème au niveau de la santé et de la sédentarité. Donc comment on fait pour s'émanciper d'un point de vue individuel, comment on fait pour saisir des opportunités ?
Donc c’est pour ces raisons que je prône l’émancipation car il y a des opportunités à prendre dans la question climatique et écologique et à l'échelle individuelle pour vivre mieux.